Pourquoi Bil’in ?
Bil’in est un village d’environ 1600 habitants à l’ouest de Ramallah. Sa première source de revenus est l’agriculture. Les 2000 dunums (200 hectares) désignés pour confiscation afin de construire de Mur incluent des oliveraies, des amanderaies et des figuiers. Nulle personne du village n’en restera inaffectée. Tous les habitants ont de la terre au sud du Mur, ou de la "barrière" dans le cas de Bil’in. Malgré son air moins imposant et permanent qu’un mur, l’apparence provisoire de la barrière est trompeuse. Une barrière consomme plus de terres et exige un système étendu de tranchées et de routes militaires, qui avalent facilement six mètres supplémentaires de chaque côté. (Pour marquer sa permanence et utiliser un même terme, la barrière sera appelée ici "Mur"). Le Mur, qui touche presque les maisons du village, sépareront physiquement Bil’in de la colonie ultra-orthodoxe de Kiryat Sefer. La colonie est une des six (une actuellement en construction) déjà construites sur les terres des villages voisins, y compris Bil’in.
Depuis janvier, le petit village s’est transformé en une ruche de résistance pacifique, il a établi un comité de village qui coordonne des manifestations bihebdomadaires. Leur but est de retarder la construction du mur tout en attirant l’attention des médias et un soutien international pour le déplacer sur la Ligne Verte. Les manifs ont assemblé des habitants et des militants enchaînés ensemble à leurs oliviers, formant des "tonneaux humains", allongés sous des barrières en métal de leur fabrication, priant ensemble ou lançant des ballons remplis de fientes de poulet. Quand l’armée israélienne répondit à la résistance de Bil’in en envahissant le village, Bil’in fit la preuve de son ingéniosité et de son engagement pour la non-violence en jouant un match de volley-ball au milieu de le route, à 11 heures du soir. Ce fut un succès. L’armée vint en bordure du village, mais cette fois là, elle n’entra pas, et laissa le match se poursuivre. Bil’in a réussi à attirer l’attention des médias, pas seulement en Cisjordanie, mais aussi en Israël et dans tout le Moyen Orient. On les a appelés « Gandhis palestiniens », tandis que les réponses violentes de l’armée israélienne, et ses méthodes de dispersion de foule presque aussi inventives, ont capté l’attention des médias mondiaux. Leur dernière invention, le Hurlement (The Scream) a été jugée digne d’attention par des médias comme le Washington Post, CNN ou la BBC.
L’expérience de Budrus
Le comité de village de Bil’in comprend cinq membres représentatifs des partis et des associations du village. De même que toute opposition commune unit un groupe normalement fragmenté, Bil’in s’est trouvé une force intérieure dans sa résistance, et le comité la reflète. Les cinq membres sont responsables de toutes les décisions d’urgence, mais comme le Mur n’affecte pas un ou deux habitants, tous ceux du village s’impliquent d’une manière ou d’une autre.
Le comité est devenu officiellement actif en janvier, mais il avait déjà consulté d’autres villages qui avaient été impliqués dans la lutte légale et pacifique contre la construction du Mur. Le village de Budrus fut une source puissante d’inspiration et d’influence. Après 53 manifestations non-violentes, Budrus parvint à déplacer le tracé du Mur. Son succès encouragea Bil’in à rassembler ses moyens collectifs - « détermination, participation et créativité » - pour combattre le Mur.
Militante internationale, Lisa Nessan de l’International Solidarity Movement (ISM) (1) a été impliquée dans les deux campagnes, et a souligné que le temps et les circonstances de la résistance à Budrus lui ont donné une force dont manque la campagne pour Bil’in : « Les médias à ce temps là parlaient du Mur, tandis que maintenant l’attention internationale est sur le désengagement [de Gaza].Abu Mazen et Sharon se rencontrent pour discuter des détails du désengagement, des forces de sécurité palestiniennes, des colonies, de la mise en place de terminaux à la place des check-points. Le Mur, que l’on continue de construire, ne fait pas partie de la discussion. Voyez aussi pourquoi ils prennent tant de temps à construire le Mur. Plus ils le font traîner, plus la question perd de l’actualité ».
Au delà de la solidarité : Kippas et tapis de prière
Comme à Budrus, ceux qui vont à une des manifestations de Bil’in pour la première fois sont surpris ; non seulement par l’organisation et la résolution pacifique des villageois, mais aussi par ceux qui se tiennent à leurs côtés, dans une solidarité qui va plus loin que le soutien symbolique.
Chaque semaine, des bus, organisés par des groupes solidaires comme les Anarchistes Contre le Mur ou Ta’ayush, amènent des militants de Tel Aviv et de Jérusalem. Les militants gonflent le nombre des manifestants et renforcent la nature non-violente de la manifestation. Mohammed al-Khatib (2), membre du comité du village, voit dans cette participation une de leurs victoires les plus importantes : « Ici, nous avons réussi pour beaucoup de choses. L’ISM en est une. Ils sont tous informés sur Bil’in et ils viennent avec nous pour notre lutte contre le Mur. Nous avons aussi réussi avec les Israéliens. Quand on a débuté notre résistance, on avait dix Israéliens et maintenant on en a presque cent, et il en vient de plus en plus. Ils viennent à Bil’in et ils voient ce que sont les gens de Bil’in et les gens de Bil’in voient à quoi ils ressemblent. » L’effet est incroyable à voir. Des flots d’Israéliens de tous ages et origines sortent des bus et marchent intentionnellement au delà des jeeps militaires pour être salués par les habitants, après quatre mois de travail actif de solidarité, ils ont formé un lien réel et significatif avec "l’autre côté". C’est ironique qu’alors que le Mur construit une barrière physique et psychologique entre deux peuples, dans des villages comme Bil’in, c’est en fait un catalyseur pour créer de nouvelles relations et renforcer celles qui existent : « Dans le village, avant le Mur, même à la même époque l’an dernier, aucun Israélien ne venait jamais à notre village, et quand ça avait lieu, le village était méfiant, et même aurait pu jeter des pierres. Mais maintenant on a une attitude très différente, parce que les Israéliens qui viennent ici sont des bons Israéliens, ce sont des Israéliens humains et vraiment nous les respectons. » Ce rapport israélo-palestinien reflète l’histoire particulière et le dialogue que les anarchistes israéliens ont établi avec beaucoup de communautés palestiniennes, et il va bien au delà du discours israélo-palestinien standard. Dans des villages comme Bil’in, Budrus, Mas’ha et Beit Surik, ce dialogue a clairement une nature tangible et pratique. Dans bien des cas, il est devenu très personnel.
Interrogé sur ce qu’il pense des militants, Abdullah Rameh (3), membre du comité, répondit : « J’aime les voir, et quand ça a lieu, je pense à eux comme à des gens de mon village. Les soldats m’ont détenu une fois à une manifestation, et "Laser" [un militant israélien] est venu dormir chez moi au cas où les militaires pénétreraient dans le village cette nuit là pour me chercher ; c’est de l’amitié. Ils sont à chaque fois de notre côté parce que nous sommes des humains. Je ne hais aucun Juif ou aucun Israélien, mais je hais l’Occupation. » « Au début c’était difficile pour les gens de Bil’in de comprendre pourquoi les [militants] Israéliens venaient, et ce qu’ils faisaient. Mais quand les soldats commencèrent à venir la nuit dans le village, les Israéliens leur disaient de partir. Tout le monde au village a réagi positivement et ils comprennent que les Israéliens sont dans le village pour les protéger. On ne peut pas nier leurs efforts et leur activité. On travaille, dort et mange ensemble, on est comme une famille et l’on combat ensemble pacifiquement. On doit travailler ensemble, pas seulement pour les manifs, mais parce que c’est si important d’agir vers la population israélienne. »
Interrogé sur la façon dont cette relation s’était formée, Laser, un militant israélien, expliqua que son implication allait au-delà de la solidarité, dans la mesure où il se sentait un engagement personnel en tant qu’Israélien vis-à-vis du village et de ses habitants : « Il y a partout de la confusion parce qu’on ne voit pas de résultats. Je me sens frustré, parce que c’est aussi ma lutte, pas seulement celle de Bil’in. Bien sûr, les gens de Bil’in vont être frappés par le Mur bien plus que moi, mais je vais aussi souffrir, parce que la destruction de la Palestine est le pire crime qu’Israël ait commis et je ne veux pas en faire partie. » (4)
Mais Bil’in n’est pas devenu un point d’accès pour les radicaux israéliens seuls, mais aussi pour la "gauche" libérale ordinaire. Ceci parce que la lutte n’est pas en soi contre le mur, mais d’abord parce que le Mur se situe à l’est de la Ligne Verte, et ensuite parce qu’il facilite indéniablement l’expansion des colonies illégales voisines. Bien des militants pensent que ceci a délégitimé l’argument « sécuritaire » d’Israël, et fait du désengagement planifié de Gaza une farce. Comme s’en plaignait un militant : « Pourquoi prétendre que vous faites un sacrifice dans un secteur quand vous êtes en train de dérober dans un autre ? » (5)
Après avoir participé à une manifestation récente du vendredi, plusieurs militants israéliens ont évacué leur frustration en arrachant et en jetant, placard après placard, des affiches « anti-désengagement » à Jérusalem Ouest.
Le militant et le soldat israéliens.
L’implication de militants israéliens joue un rôle clé dans la résistance à Bil’in. Quand on lui demanda ce qui arriverait s’il n’y avait pas de participation israélienne, Laser répondit immédiatement : « L’armée israélienne commencerait à tirer. Une fois, ils nous ont arrêtés à un check-point mobile et ils ont donné l’ordre aux soldats israéliens à la manifestation qu’ils pouvaient tirer sur les manifestants, mais une vingtaine d’entre nous avons pu traverser, alors ils ont annulé l’ordre. Pourquoi ? Parce qu’ils sont racistes. » Un autre manifestant, refuznik de l’armée israélienne, Rotem Mor, confirme : « L’armée n’aime pas arrêter les Israéliens - c’est mauvaise presse. Mais parfois ils veulent nous mettre à l’écart, alors ils nous mettent à l’écart en nous arrêtant tous, et alors ils peuvent tirer sur les Palestiniens (6). »
Mais de même que la fréquence et l’intensité des manifestations construisent des relations entre les militants israéliens et les habitants du village, elles créent une familiarité avec les soldats israéliens. Un reportage récent du journal en anglais Ha’aretz citait l’armée disant que sans Laser « une manifestation ne vaut rien. » (7)
Incité à commenter, Laser répondit : « Vous savez, d’un côté c’est un compliment, "Ouais, je suis ici !" Ils m’ont arrêté 41 fois au cours des deux dernières années, et au moins 15 fois à Bil’in, et chaque fois qu’ils m’arrêtent ils disent qu’ils vont réussir à me mettre en prison ou faire que le tribunal m’empêche d’entrer dans les territoires occupés, mais ils n’y parviennent pas. Mais d’un autre côté ils ont l’impression de me connaître, ils commencent à se sentir à l’aise avec moi, et c’est pas si bon. Vous savez, ils essaient de plaisanter avec moi. J’en ai parlé à Segev (le Commandant) et je lui ai dit : "eh, il faut que vous sachiez que nous ne sommes pas amis, et que je suis de ce côté-ci, du côté palestinien, et vous êtes du côté de l’armée", mais ça ils ne pigent pas. »
« Quand les Israéliens viennent à des manifestations, ils savent que c’est une manif non violente et que les Palestiniens ne veulent pas nous faire du mal et [qu’]ils ne feront rien qui nous mette en danger, alors l’armée sait qu’ils ne risquent rien. Les soldats viennent et s’amusent. Ils lancent des gaz lacrymogènes et arrêtent quelques Israéliens ; vous savez, c’est amusant pour eux. La semaine dernière un soldat m’a même dit que c’était drôle. C’est pas dangereux pour eux, ils aiment faire ça. » L’interaction entre les militants et les soldats israéliens est intéressante et potentiellement puissante. Alors qu’ils parlent la même langue, ils soutiennent des références et des définitions différentes sur des concepts comme "sécurité", "justice", "citoyenneté" ou même "judaïsme" (car un militant juif pratiquant portait une kippa sous sa casquette, expliquant que l’Occupation est contraire à l’essence de la Torah). Mais les militants israéliens ont plus d’autorité aux yeux des soldats que les militants internationaux, qui « interfèrent », estiment t-ils. A chaque manifestation, les militants israéliens profitent de la possibilité de discuter avec les soldats. Ils s’efforcent en commun d’amener les soldats à remettre en question les actions de l’armée israélienne, la moralité de l’Occupation, et leur propre rôle individuel. Même si ça peut paraître futile, comme le rappelait Laser : « Un des types qui m’a menotté était si doux, et il me parlait et disait, "vous savez, vous avez raison, vous avez raison. Je ne sais pas quoi dire sur pourquoi on opère ici, mais on doit. C’est la loi. » « Le problème, c’est que les soldats qu’ils envoient ici sont tous Russes ou Ethiopiens. Tous les groupes pauvres et discriminés. Une chose qu’on leur demande tout le temps, c’est "A quoi vous servez ? Vous faites ça pour le gouvernement et quand votre service est fini, qu’est-ce qu’ils vous donnent ? Qu’est-ce qui se passe quand vous avez fini ? »
Le Hurlement et le Mistaravim
Interrogé sur la façon dont l’armée répond aux manifestations, Mohammed répondit : « L’Occupation israélienne ne comprend pas la résistance pacifique. » Les manifestants ont été accueillis avec des lacrymogènes, des balles en caoutchouc, des balles mousse et même des balles en sel. Plus récemment, ils ont été soumis à The Scream (Le Hurlement) - un appareil sonore qui, comme le suggère son nom, émet un son de sirène puissant. Le bruit est fait pour causer des vertiges et la nausée, et pourtant, même sans la pré-distribution standard de coton hydrophile, c’est « rien que très bruyant. » Comme commente Nessan : « The Scream n’est pas efficace pour disperser des manifestations, et je pense que n’importe quel manifestant préfèrerait The Scream a tout ce qu’on a utilisé d’autre contre nous. »
Une théorie qui circule est que l’armée israélienne teste de nouvelles armes aux manifestations palestiniennes comme entraînement pour le retrait de la bande de Gaza. Une autre méthode est parvenue aux grands médias, l’emploi de Mistaravim, littéralement « se déguiser en Arabe. » Ces agents israéliens clandestins ont été utilisés pour la première fois aux manifestations contre le Mur de Beit Surik en décembre 2004, quand ils ont arrêté le maire du village. L’utilisation des Mistaravim est une méthode préventive de dispersion des foules. Si le Mistaravim commence le lancer de pierres, l’armée peut répondre immédiatement par des grenades lacrymogènes et des balles. Mais comme les observations de Nessan l’indiquent, leur utilisation est multiple : « Le 28 avril 2005, Bil’in a tenu une très grande manifestation avec le soutien de plus de 200 internationaux et Israéliens. Quand la manifestation a atteint le lieu où attendait l’armée pour empêcher les gens d’atteindre les bulldozers, un groupe a commencé à lancer des pierres. Les gens du village leur demandaient d’arrêter et leur demandaient d’où ils venaient. A ce moment là, le groupe s’est révélé comme Mistaravim déguisés, a sorti des fusils, tiré en l’air et arrêté deux habitants de Bil’in pour avoir attaqué des officiers israéliens. Ils sont restés en détention deux mois sans jugement. » « L’ouverture d’esprit des villageois à la participation d’Israéliens, d’internationaux et de Palestiniens d’autres régions à leurs manifestations les rend vulnérables aux tactiques sournoises de l’armée israélienne. Il semble que ces tactiques ont pour but de décourager la communauté de participer aux manifestations en générant de la méfiance au sein de la communauté, et de la suspicion envers les soutiens Israéliens et internationaux. C’est une sorte de tactique "diviser pour conquérir".
Lancer des pierres.
L’armée israélienne justifie sa réponse violente systématique aux manifestations de Bil’in en mentionnant les jets de pierre de manifestants. A une manifestation, un soldat a perdu un oeil après avoir été touché par une pierre. Mais les habitants trouvèrent que l’incident avait reçu une couverture médiatique disproportionnée, et en réponse, ils firent une manifestation menée par des Palestiniens handicapés. Comme l’a expliqué Abdallah : « Nous voulions montrer que nous ne sommes pas des terroristes. Nous voulions tenir une manifestation pacifique avec ceux qui ont été blessés pendant l’Intifada. Le but de la protestation était de montrer à l’armée israélienne et à l’Occupation qu’un soldat peut avoir perdu un oeil, mais qu’ils sont responsables d’avoir blessé 40.000 Palestiniens, dont 7.000 sont maintenant handicapés ».
La réponse à cette manifestation fut particulièrement brutale et beaucoup furent blessés après que des balles en caoutchouc et des lacrymogènes aient été tirés directement sur la foule. Ce n’était pas un incident isolé et de nombreux manifestants pensent que l’armée israélienne vient pour provoquer des jets de pierre. Comme l’explique Nessan : « Chacun sait que nous agissons directement contre le Mur et contre l’occupation israélienne. Nous allons au site de construction du Mur avec l’intention d’empêcher ou de retarder le travail. Le lancement de pierres par la jeunesse palestinienne est une réponse directe à la violence que l’armée israélienne exerce contre elle. » « Le jet de pierres fait partie des manifestations non-violentes. Pour beaucoup d’Occidentaux, lancer des pierres est un acte violent, mais dans le contexte de l’occupation militaire, c’est devenu un symbole de la résistance populaire. La résistance armée utilise des fusils. Les gens de Bil’in ne vont pas à la maison fabriquer des armes, c’est une grande différence. » « L’armée israélienne représente la politique de l’Etat d’Israël, et malheureusement les Palestiniens n’ont pas une institution similaire pour les représenter pareillement. Tout ce qu’ils ont, leur histoire et leur futur, leur est retiré devant leurs yeux. Il leur faut un exutoire, et si les pierres sur le sol son tout ce qu’ils peuvent saisir, qu’il en soit ainsi. »
Interrogé sur son engagement pour la non-violence, Mohammed répondit : « Toutes nos manifs sont non-violentes, nous rappelons depuis le haut-parleur de la mosquée que nous sommes engagés pour la non-violence, et pour délivrer ce message : que nous voulons seulement défendre notre terre. Depuis notre première manifestation, nous n’avons pas jeté une seule pierre. C’est différent de la première Intifada. Nous n’allons pas aux manifestations pour jeter des pierres, mais nous ne commandons pas une armée et nous ne pouvons pas empêcher tout le monde de jeter des pierres quand on les provoque. Les soldats sont entraînés à la violence et quand les gens les voient tirer des balles, et entrer dans nos maisons, ils veulent se défendre. Ils ne saisissent pas des fusils, mais ramassent des pierres autour d’eux. L’essence de nos manifestations est d’être pacifiques, et si elles ne le sont pas, ce n’est pas parce que nous lançons des pierres mais parce que les soldats commencent à tirer. Il y a eu une manifestation où les soldats n’ont pas commencé la violence et où ils ne sont pas entrés dans le village, et aucune pierre n’a été lancée. C’était un record. »
En fait, la créativité des manifestations de Bil’in est venue de l’inquiétude que les enfants s’ennuieraient et viendraient en se préparant à lancer des pierres. L’inquiétude était que ça biaiserait le message aux médias qui est essentiel à leur campagne : « Le village voulait être sûr que la violence soit débutée par l’armée, pour souligner que nous - la ville de Bil’in - n’étions pas une "menace sécuritaire", mais que la menace venait de l’armée israélienne. »
Toutes les manifestations ont fini habituellement par des lacrymogènes, des blessures par balle, des jets de pierre et des arrestations. Beaucoup de manifestants sont détenus puis libérés, et pas techniquement arrêtés. Mais le jour où News from Within a interviewé Abdallah, il a été à nouveau arrêté, détenu et accusé d’avoir attaqué un soldat. Le militant de l’ISM Sam Grafton, qui était à ses côtés, souligne qu’il « ne faisait rien de plus menaçant que de crier vers les soldats quand ils tiraient des grenades lacrymogènes sur la foule » (qui ce jour là portait des cercueils en polystyrène fait chez eux).
Les enfants de Bil’in.
Quand la construction du Mur a débuté, Bil’in fit un appel initial à la Cour Suprême. L’appel ne fut pas validé, aussi les cas de Bil’in et de bien d’autres villages n’ont jamais été écoutés. Cependant, la Cour accepta d’entendre le cas du village voisin de Kharbata, et les avocats travaillent maintenant à inclure les terres de Bil’in dans cet appel. Le 14 juin, cinquante enfants de Bil’in sont allés à Jérusalem représenter le village aux auditions de la Cour. Les enfants sont allés parce qu’aucun adulte ne s’est vu attribuer un permis de parcourir les 20 kilomètres à leur capitale. Malheureusement l’appel fut rejeté. Le rôle des enfants de Bil’in est devenu central, mais il a un prix.
Questionné sur la façon dont ça les a touchés, Mohammed répond : « Ça les a touché de deux manières. Le Mur les affecte parce qu’il prend leur avenir. Ils ne pourront pas construire leur maison ni cultiver leur terre. L’autre façon, c’est par notre résistance, quand les soldats deviennent violents, ils ne font pas la différence entre jeune et vieux, homme et femme, ils adressent leur violence à tout le village et ça inclut les enfants. » « Si vous pensez être un héros, venez donc à Bil’in voir ce que font nos enfants. Avec chaque acte de résistance ils ont l’air plus âgés et plus forts. Nous sommes fiers d’eux comme Palestiniens, mais ils ne vivront pas leur enfance comme nous le souhaiterions pour eux. »
« M. le Président du Monde Libre. »
Avec peu d’espoir de mener le combat devant la justice [israélienne], l’ingéniosité de Bil’in a atteint des niveaux désespérés. Ils ont étendu leur résistance au delà des limites du village et prévoient d’inviter des diplomates internationaux pour mettre la pression sur la communauté internationale (tactique utilisée récemment par Hébron et Silwan [1]). Le 23 mai, la nuit avant la visite d’Abou Mazen aux USA, un groupe de 150-200 habitants de Bil’in et des soutiens locaux ont participé à une procession aux bougies pour porter deux lettres : une à leur Président, Abou Mazen, et une pour Mazen à porter à Monsieur Bush, « Président du Monde Libre », de leur part. La lettre appelait M. Bush à « se tenir de notre côté dans notre lutte non-violente pour la justice ». Interrogé pour savoir si Abou Mazen avait réussi à remettre la lettre, Abdallah répondit : « Je l’espère. S’il est intelligent il doit remettre la lettre à Bush. »
La réponse d’Abdallah reflète son attente de voir Abou Mazen le représenter et se battre pacifiquement pour son village. Quand on lui a demandé si Bil’in avait essayé d’influencer la Knesset israélienne, il répondit : « Ce n’est pas mon job, c’est celui des Israéliens. Mazen est mon Président, pas Sharon, et par conséquent, il dit faire quelque chose pour mon village, pour Bil’in. »
L’Autorité Palestinienne n’a pas la capacité de stopper la construction du Mur, mais au sens propre, le pouvoir de l’AP prend lentement de l’ampleur, particulièrement après les élections présidentielles et municipales de cette année. Avec les élections imminentes au Conseil Législatif Palestinien [2], il y a des initiatives pour une reforme interne, qui portent sur un lien renforcé entre les représentants et leur électorat. Le 18 juin, les ministres de l’AP sont venus à Bil’in discuter des façons d’aider à alléger le fardeau du Mur et des colonies en croissance, qui s’emparent rapidement des ressources an eau de Bil’in. L’implication de l’AP prouve que la résistance de Bil’in n’atteint pas seulement les médias internationaux, mais qu’elle cause aussi une réaction interne, ce qu’on peut estimer plus productif - au moins à court terme.
Une réaction en chaîne ?
L’implication de l’Autorité Palestinienne est un essai pour faire « le mieux du pire » et il reflète le réalisme de Bil’in. De nombreux habitants et militants admettent pareillement que le Mur sera probablement construit. Mais ils ne sont pas disposés à donner leur accord en silence. Les efforts du village seront-ils un succès ? Mohammed répond : « Succès a beaucoup de significations ; si vous voulez dire déplacer le Mur, je pense que ce n’est pas impossible, mais c’est difficile. Et ce n’est pas seulement le Mur parce que derrière le Mur il y a la colonie, qui est construite sur nos terres. Mais si vous parlez de succès sur d’autres aspects, je réponds oui ; nous réussissons à dire aux gens autour du monde que notre village à le droit d’être ici, sur notre terre, et c’est la vérité. Nous montrons que les menteurs, c’est l’Occupation. L’Occupation ne défend pas les Israéliens de nous, mais elle nous vole. Si j’avais dit, il y a un an que je suis de Bil’in, personne n’aurait su d’où je parlais, mais maintenant les gens savent et ils savent que nous résistons au Mur. Mais, c’est plus important, ils entendent que nous résistons par des moyens pacifiques et ils nous encouragent. Mais on ne peut pas seulement dire que notre résistance non-violente appartient à Bil’in, parce que maintenant, elle appartient aux Palestiniens. »
Une des manifestations récentes de Bil’in a porté 1500 drapeaux palestiniens « pour être de concert avec la Cisjordanie et Gaza, ce n’est pas que notre village, » explique Abdallah. De même que Bil’in a pris des forces de la lutte de Budrus, ils se sentent aussi la responsabilité de rallumer un esprit combatif de non violence en Cisjordanie et à à Gaza. Les membres du comité de Bil’in ont été invités dans d’autres villages dont la terre et les moyens de subsistance ont été pris par le Mur. Leur objectif élargi est que leurs manifestations non-violentes catalysent un effet de domino dans une chaîne de villages sur la route prévue pour le Mur.
La résistance de Bil’in est contagieuse et s’est certainement répandue. La lutte de Bil’in est une déclaration sans équivoque pour Israël, la Palestine et le reste du monde, que le combat pour la justice se poursuit, pacifiquement et solidairement. La fierté et la détermination de Bil’in ont clairement inspiré quiconque a travaillé côte à côte avec eux.
Le village est décidé à faire appliquer l’avis de la Cour Internationale de Justice contre le Mur, et sa résistance créative continue. Peu avant que cet article parte sous presse (8), les habitants de Bil’in se sont levés à l’aube pour construire une "prison" sur leurs oliveraies confisquées. Dans la prison se sont assis deux Palestiniens, trois militants internationaux, trois militants Israéliens, deux Palestiniennes âgées et une chèvre. L’armée israélienne a démoli la prison. Les vieilles femmes et la chèvre ont réussi à éviter l’arrestation.
Notes de l’auteur :
Interviews de :
1) Lisa Nessan, 21 juin 2005 à Beit Sahour
2) Mohammed Al-Khatib, 17 juin 2005 à Bil’in
3) Abdallah Ramha, 17 juin 2005 à Bil’in
4) Laser, 17 juin 2005 à Ramallah
5) M., 17 juin 2005 à Bil’in
6) Rotem Mor, 3 juin 2005 à Bil’in
7) Ha’aretz, édition anglaise, 10 juin 2005, p 10
8) 22 juin 2005.
Notes du traducteur :
[1] quartier palestinien de Jérusalem menacé de destruction.
[2] L’article a été écrit peu avant l’ajournement de ces élections.